Entre violence, torture et persécution des musulmans

24/04/2013 00:52

 

Premières mesures coercitives

 

En proclamant publiquement son message et en invitant les Mecquois à l'adopter comme religion et comme mode de vie, afin de se soumettre à Dieu et de se conformer à Ses ordres, Muhammad le Messager de Dieu, passait de fait à l'offensive dans un combat qui allait dominer le reste de sa vie. Jusqu'à ce moment, le Prophète et ses premiers adeptes s'étaient contentés d'aborder en secret un nombre restreint de personnes, dans un cadre privé et individuel.

Ces efforts avaient procuré au nouveau message de l'islam un noyau de partisans indéfectibles. Cependant, l'affirmation publique du message par le Prophète modifiait totalement la donne, en même temps que changeait la cible de ses efforts. C'était la société tout entière qui était dès lors invitée à changer radicalement les fondements sur lesquels elle reposait et les principes et valeurs auxquels elle adhérait.

Ce changement signifiait beaucoup plus que le simple remplacement par un Dieu unique de toute une série d'idoles faites de dattes, de pierre, d'or, de bois ou de glaise. Ce qui était demandé aux Arabes de La Mecque, ce n'était pas seulement de vénérer Dieu au lieu de leurs idoles : c'était aussi de suivre Son jugement dans tous les aspects de leur vie sociale, politique et culturelle. Autrement dit, le changement devait aussi porter sur leurs pratiques sociales, sur leurs intérêts commerciaux et économiques, ainsi que sur leur pouvoir et leur influence politique.

La réaction de ceux qui détenaient le pouvoir dans la société mecquoise fut donc hostile, comme on pouvait s'y attendre. Ils comprenaient en effet que s'ils n'opposaient pas une résistance ferme et déterminée à la nouvelle prédication, elle ne pourrait que remporter l'adhésion d'une grande partie de la population, en particulier les pauvres, les esclaves et les plus démunis, mais également certains individus aux idées libérales appartenant aux classes dirigeantes. C'est pourquoi une campagne de persécution ne tarda pas à être lancée contre les adeptes de la nouvelle religion.

                                   Persécuter les plus faibles

Les premiers musulmans n'appartenaient pas exclusivement à une classe ou à un groupe social donné, mais provenaient de tous les clans et de tous les niveaux de la structure sociale tribale de La Mecque. Or, les considérations tribales imposaient que tout membre d'une tribu soit défendu par sa tribu entière en cas de persécution extérieure ou d'injustice. De fait, comme nous l'avons vu, une tribu défendait ses membres même lorsqu'ils étaient dans leur tort.

C'est pourquoi certains des premiers musulmans échappèrent à la persécution grâce à la protection de leur tribu. Beaucoup eurent cependant moins de chance, parce qu'ils appartenaient aux classes inférieures des esclaves et des « alliés », c'est-à-dire d'individus attachés à différents clans ou tribus par un accord d'alliance implicite. Dans des circonstances normales, cet accord leur assurait la protection de la tribu, mais leur statut demeurait ambivalent. Ils s'exposaient donc à des représailles sévères lorsqu'ils entraient en conflit avec les puissants chefs de tribus.

Il était normal que la campagne de persécution s'en prenne essentiellement aux musulmans appartenant à ces classes. Après tout, la société tribale mecquoise défendait précisément ce système qui plaçait les gens dans différentes catégories selon leur naissance et leur condition. La classe privilégiée n'était pas prête à abandonner facilement ses prérogatives. Elle ne pouvait toutefois pas les outrepasser en les refusant à ceux des compagnons du Prophète  qui y avaient droit en vertu de leur naissance et de leur lignée.

L'une des premières tactiques des chefs mecquois pour en finir avec l'islam fut une campagne de terreur, prenant diverses formes selon le statut de la victime. Ceux qui appartenaient aux classes supérieures faisaient l'objet de railleries et d'affronts. L'ennemi le plus acharné de l'islam à l'époque était un homme du nom de Amr ibn Hishâm, qui appartenait au clan de Makhzûm. On lui donna bientôt le surnom d'Abû Jahl, qui signifie « le père de l'ignorance ».

Abu Jahl supervisait cette campagne d'opposition sous ses deux formes : ridiculiser les musulmans dont les liens tribaux assuraient leur protection, et persécuter les plus faibles. Lorsqu'il entendait parler de la conversion à l'islam d'un personnage noble, il lui adressait sarcasmes et reproches. Il disait par exemple : « Tu as abandonné la foi de ton père, qui était meilleur que toi. Nous ne tiendrons plus compte de ton avis, nous nous opposerons à toi et nous te traiterons avec mépris. »

Si l'homme était commerçant, Abu Jahl le menaçait de boycott afin de nuire à ses affaires. Si le nouveau musulman appartenait à la classe la plus faible, c'était par la persécution physique qu'Abû Jahl s'en prenait à lui. Abu Jahl n'était toutefois pas le seul ennemi de l'islam : il n'était que le plus tenace. D'autres rivalisèrent avec lui dans cette campagne de terreur. Les souffrances de Bilâl et de Khabbâb offrent de bons exemples de la férocité de cette persécution.

Bilâl était né en esclavage d'un père abyssin. Son maître, Umayya ibn Khalaf, le chef du clan des Jumah, voulut montrer à tous les Mecquois qu'il était aussi préoccupé qu'Abû Jahl par la défense de l'ordre établi. Bilâl fut emmené jour après jour dans le désert où il était sévèrement battu. À midi, lorsque le soleil était le plus chaud, on le faisait coucher dans le sable, sans aucun vêtement pour protéger son dos du sable brûlant.

Une grosse pierre était posée sur sa poitrine pour augmenter la torture. On le traînait avec des cordes sur le sable brûlant. Encore et encore, on lui demandait de renier l'islam et d'affirmer qu'il croyait aux idoles ; encore et encore, il répétait : « Il est Un ! Il est Un. » Les souffrances de Bilâl durèrent longtemps, jusqu'au jour où Abu Bakr, passant par là, assista à la scène. Il essaya sans succès d'éveiller la compassion d'Umayya. Ce dernier accusa au contraire Abu Bakr d'être à l'origine de la transgression de Bilâl et le mit au défi de le sauver.

Abu Bakr dit à Umayya : « Je l'achète avec un prix dépassant sa valeur. Qu'en dis tu ? » Umayya ne se fit pas attendre. Ayant perdu espoir de briser la volonté de Bilal, il accepta l'offre d'Abu Bakr. Il s'était rendu compte que le prix de Bilal était plus profitable que sa mort. Comme Abu Bakr aidait Bilal à se relever, Umaya dit : « Prends-le! si tu m'avais proposé un ouqiya, je te l'aurais vendu. » Abu Bakr, se rendant compte que ces mots étaient destinés à humilier Bilal, il répondit : « Par Dieu! si tu avais exigé cent ouqiyas, je les aurais avancées ! » Puis Abu Bakr l'affranchit immédiatement, car il savait que l'islam n'aimait pas l'esclavage et promettait une grande récompense divine à quiconque libérerait des esclaves.

                              Le noble coeur d'Abu Bakr

Abu Bakr devait répéter cette noble action à plusieurs reprises. Ainsi, Amir ibn Fuhayra était un esclave appartenant à at-Tufayl ibn Abdullâh al-Asdî, qui avait un lien de parenté avec Abu Bakr à travers son épouse Umm Rûman, la mère de Aïsha. Amir ibn Fuhayra était l'un des tout premiers musulmans, et souffrit durement pour cela : il fut l'une des victimes de la campagne de terreur. Cependant, Abu Bakr l'acheta à son maître et l'affranchit. Amir continua à travailler pour Abu Bakr comme berger. Il devait plus tard jouer un rôle important en aidant le Prophète  et Abu Bakr à émigrer de La Mecque à Médine.

Le Prophète  apprécia beaucoup l'acte d'Abû Bakr en faveur de ces deux esclaves, et l'encouragea à faire tout ce qu'il pourrait pour aider les victimes de cette campagne de torture. Abu Bakr, comme à son habitude, consentit sans hésiter. Il choisit les plus faibles et ceux qui se montraient les plus déterminés à défier les persécuteurs. Ainsi, Zunayra était une esclave appartenant au clan des Makhzûm.

C'était donc à Abu Jahl qu'il revenait de la torturer. Il lui fit tellement subir qu'elle perdit la vue. Puis il lui dit : « Ce sont les deux déesses, al-Lât et al-'Uzzâ, qui t'ont fait cela. » Elle répliqua : « Comment al-Lât et al-'Uzzâ pourraient-elles savoir qui les adore ? C'est simplement la volonté de Dieu, et mon Seigneur est capable de me rendre la vue. » Lorsqu'elle se réveilla le lendemain, elle voyait à nouveau. Des gens de Quraysh dirent : « Cela fait partie de la magie de Muhammad (SAW). » Abu Bakr s'empressa de sauver cette esclave et de l'affranchir.

Une femme appelée an-Nahdiya et sa fille étaient esclaves et appartenaient à une femme du clan des Abd ad-Dâr. Elles devinrent toutes les deux musulmanes, et leur maîtresse ordonna qu'elles soient torturées. Un jour, elle leur donna de la farine pour faire le pain, mais, en les mettant au travail, elle les menaça : « Vous resterez mes esclaves pour toujours. Par Dieu, je ne vous libérerai jamais. » Abu Bakr était là et l'entendit. Il lui dit : « Pourquoi ne pas te défaire de ton serment ? » Elle répondit : « M'en défaire ? C'est toi qui les as corrompues, alors libère-les si tu veux. » Abu Bakr lui demanda quel prix elle en voulait et paya le prix. Il déclara immédiatement que les deux femmes étaient libres, et leur dit de rendre sa farine à leur ancienne maîtresse. Elles lui demandèrent s'il ne voyait pas d'inconvénient à ce qu'elles finissent leur tâche, et il répondit qu'elles pouvaient le faire si elles le souhaitaient.

Une autre esclave, nommée Umm 'Ubays, appartenait à al-Aswad ibn Abd Yaghûth du clan de Zuhra. Abu Bakr, la voyant un jour torturée par son maître, l'acheta et l'affranchit. Il en fit autant pour une autre esclave appartenant au clan des Adî, où c'était 'Umar ibn al-Khattâb, alors encore idolâtre, qui tourmentait les musulmans. 'Umar battait cette femme aussi souvent et aussi fort qu'il le pouvait. Un jour, il cessa de la battre en disant : « Excuse-moi ! Je cesse de te battre parce que j'en ai assez. » Elle répliqua : « C'est Dieu qui te fait cela. » Abu Bakr acheta cette femme et la libéra.

En tout, Abu Bakr libéra sept esclaves pour les faire échapper à la campagne de terreur initiée par les Quraysh. Son père, qui n'était pas musulman, ne comprenait pas son comportement. Il lui dit : « Mon fils, je vois que tu libères des esclaves faibles. Si tu veux faire cela, pourquoi ne libères-tu pas des hommes forts qui pourront te protéger ? » Abu Bakr lui expliqua qu'il ne recherchait, en agissant ainsi, que la récompense divine.

Ce comportement d'Abû Bakr illustre parfaitement la solidarité qui unissait la nouvelle communauté musulmane. Ceux qui pouvaient aider leurs frères et soeurs n'hésitaient pas à leur apporter tout le soutien possible. Néanmoins, les actions d'Abû Bakr étaient exemplaires. Ni lui ni les autres musulmans de lignée tribale n'avaient le pouvoir de mettre un terme à la campagne de terreur. Quoique relativement riche, il ne pouvait pas acheter toutes les victimes de la persécution des Quraysh. D'ailleurs, il ne s'agissait pas uniquement d'esclaves, et les maîtres des esclaves refusaient généralement de les vendre.

L'action d'Abû Bakr exprimait le nouveau lien qui s'était établi entre les adeptes de la nouvelle religion. En outre, elle comportait un autre aspect : elle soulignait l'égalité entre tous les adeptes de la nouvelle religion, qu'ils soient maîtres ou esclaves. Bien plus tard, lorsque 'Umar devint l'une des grandes figures de l'islam, il exprima ce fait avec la plus grande clarté lorsqu'il dit à propos d'Abû Bakr et de ce qu'il avait fait pour Bilâl : « Abu Bakr est notre maître, et il a libéré notre maître. »

                              La violence s'intensifie

Tous ces efforts d'Abû Bakr et d'autres musulmans pour venir en aide à leurs frères brutalement torturés par de jeunes hommes appartenant aux familles les plus privilégiées de Quraysh ne pouvaient cependant pas réduire de façon significative la pression exercée sur les musulmans. C'était d'ailleurs plutôt l'inverse : à chaque victime libérée par Abu Bakr, la persécution de ceux qui étaient encore en captivité s'intensifiait ; à chaque nouvelle conversion à l'islam, la violence de la torture augmentait.

Khabbâb ibn al-Aratt avait été kidnappé dans la région de son clan alors qu'il était encore tout jeune. Amené à La Mecque, il avait été vendu à un homme du clan des Khuzâ'a. C'était l'un des tout premiers musulmans, et il souffrit donc plus que les autres. Les négateurs essayèrent toutes sortes de tortures. Ils le mirent dans un feu et le battirent violemment. Ils le frappèrent à coups de pieds et à coups de fouet, mais il resta aussi ferme qu'une montagne. Un jour, ils arrachèrent ses vêtements et le couchèrent sur des pierres chauffées dans le feu, tout en lui tordant le cou. Il en garda des séquelles permanentes dans le dos, mais il était prêt à mourir pour sa foi. Il survécut à la torture et combattit les négateurs aux côtés du Prophète  dans toutes les guerres qu'il mena.

Abu Fukayha était un esclave appartenant à Safwân ibn Umayya, le fils de l'ancien maître de Bilâl. Lorsque Bilâl fut libéré par Abu Bakr, ce fut Abu Fukayha qui dut supporter toute la brutalité du maître de Jumah. Il fut traîné sur le sable brûlant et torturé jusqu'à ne presque plus pouvoir parler. Un scarabée passa près de lui et Umayya, le montrant, dit : « C'est ton Seigneur, n'est-ce pas ? » Abu Fukayha répondit : « Dieu est mon Seigneur, ton Seigneur et le Seigneur de cette créature. » Il fut presque étranglé pour avoir dit cela.

Le frère d'Umayya, Ubayy, l'encourageait à intensifier la torture en disant : « Que Muhammad vienne donc le libérer par sa sorcellerie. » Ils ne le laissèrent que lorsqu'ils le crurent mort. Certains récits relatent qu'il aurait lui aussi été acheté et libéré par Abu Bakr, mais cela n'est pas absolument confirmé puisque la plupart des récits placent à sept le nombre total d'esclaves libérés par Abu Bakr, et que ces sept personnes ont déjà été mentionnées.

Ceux qui souffrirent le plus de la campagne de terreur organisée par les Quraysh furent un couple de vieillards et leur fils unique âgé d'environ trente-cinq ans. Yâsir, le père, était originaire d'une tribu yéménite. Il était venu à La Mecque dans sa jeunesse pour chercher son frère. Se plaisant à La Mecque, il voulut y rester. Il contracta donc une « alliance » avec son hôte, un notable du clan des Makhzûm auquel appartenait aussi Abu Jahl. Une telle alliance signifiait que Yâsir devait rester fermement attaché à la tribu de son allié, qui en échange de sa protection le chargeait de toutes les tâches dévolues aux membres les plus faibles de la tribu.

Sans un lien de ce type, aucun individu ne pouvait espérer survivre dans la société arabe de l'époque. Yâsir épousa Sumayya, une servante de son allié, qui donna naissance à leur fils unique, Ammâr. Yâsir n'eut jamais à regretter sa décision de rester à La Mecque ; il y vécut heureux, malgré son rejet instinctif de l'idolâtrie. Lorsque le Prophète commença à prêcher son nouveau message, Ammâr fut parmi les premiers à y adhérer. Il se joignit au petit groupe de musulmans qui se réunissait autour du Prophète chez al-Arqam.

'Ammâr eut tôt fait de persuader ses parents de devenir eux aussi musulmans. Leur vie heureuse fut bientôt brisée par Abu Jahl, qui avait réuni une force composée de jeunes gens et d'esclaves pour l'aider dans ses persécutions. Il voulait faire de Yâsir et de sa famille un exemple pour tous ceux qui envisageaient d'adhérer au nouveau message de l'islam. Il organisa une forme de torture progressive des parents et de leur fils dans le but de leur faire apostasier l'islam. Or, plus la torture augmentait, plus les trois victimes manifestaient leur détermination à conserver leur foi.

Le Prophète  passa près d'eux un jour tandis qu'on les torturait. Il ne pouvait rien faire pour les libérer. Il leur donna néanmoins le meilleur des encouragements en leur disant : « Yâsir et sa famille, soyez endurants. Nous nous retrouverons au Paradis. » Après des semaines de tortures diverses, Sumayya dit à son bourreau ce qu'elle pensait de lui et de ses méthodes. Furieux, Abu Jahl la frappa de sa lance dans ses parties intimes. Puis, se tournant vers son époux qui était allongé sur le sable brûlant, il lui donna des coups de pieds dans la poitrine jusqu'à ce qu'il meure.

Sumayya et Yâsir furent ainsi les deux premiers martyrs de l'histoire de l'islam. Après la mort de ses parents, 'Ammâr fut relâché mais seulement temporairement. Ses tortionnaires revinrent à plusieurs reprises s'emparer de lui. Après l'avoir atrocement torturé, ils lui disaient : « Nous ne te laisserons en paix que quand tu auras insulté Muhammad (SAW) et fait l'éloge d'al-Lât et al-'Uzzâ. » Un jour, ne pouvant plus supporter la torture, il fit ce qu'on lui disait. Les hommes le laissèrent alors tranquille et partirent. Lorsqu'il parvint à se relever, il alla trouver le Prophète, les larmes aux yeux.

Ce dernier lui demanda ce qui le troublait, et il répondit : « Ce sont de mauvaises nouvelles, Messager de Dieu. » Il lui relata ce qui s'était passé. Le Prophète lui demanda ce qu'il ressentait au fond de son coeur. Ammâr répondit que sa foi était plus ferme que jamais. Le Prophète lui dit alors que si les idolâtres le traitaient encore de la même façon, il pouvait leur dire ce qu'ils voulaient entendre tant qu'au fond de son coeur il demeurait absolument certain de sa foi.

Lorsque la pression devint trop forte et la torture insupportable, certaines victimes se plaignirent au Prophète. Khabbâb a relaté :

Nous nous plaignîmes au Messager de Dieu tandis qu'il était accoudé à l'ombre de la Ka'ba, en lui disant : « Ne peux-tu pas invoquer Dieu pour nous ? » Il répondit : « Parmi les nations qui vous ont précédés, beaucoup ont été placés dans des trous creusés dans la terre et sciés en deux de la tête aux pieds. Il arrivait qu'on leur arrache la chair et les nerfs jusqu'à l'os avec un peigne de fer : cela ne parvenait pas à leur faire renier leur religion. Par Dieu, votre Seigneur ne manquera pas d'accomplir Son dessein, de sorte qu'un voyageur pourra aller de San'a à Hadramawt en n'ayant à craindre que Dieu, et le loup pour son troupeau... Mais vous êtes impatients ! »

Que pouvait faire le Prophète  pour ceux de ses Compagnons qui étaient faibles et vulnérables et qu'on torturait aussi sauvagement ? Lui-même subissait sarcasmes et mauvais traitements de la part des négateurs, qui lui jetaient de la poussière sur la tête lorsqu'il priait dans la Mosquée Sacrée. Ils jetaient aussi des immondices devant sa maison. Il avait dit clairement à ses Compagnons qu'ils n'auraient rien à gagner dans l'immédiat. Il ne leur promettait qu'une lutte ardue pour laquelle Dieu leur donnerait le Paradis en récompense.

Pour eux, qu'il leur montre la voie et leur enseigne les commandements de Dieu était suffisant. Leur vie était transformée : ils avaient maintenant des préoccupations nobles à la place des plaisirs vils que les négateurs recherchaient toujours. Il ne pouvait que les rassurer sur l'authenticité du message et la justesse de la voie qu'ils suivaient. Ils recherchaient la satisfaction divine, et c'était le seul moyen de la gagner.

Le Prophète resta déterminé, malgré la campagne de terreur des Quraysh. Il invitait les gens à renoncer à l'idolâtrie et à revenir à Dieu, le Créateur, qui a honoré l'homme et lui a confié la responsabilité de la terre. Comprenant que la persécution de quelques individus sans défense ne dissuadait personne d'embrasser la nouvelle religion, les chefs de Quraysh imaginèrent une nouvelle tentative pour négocier un accord.

Une nouvelle délégation se rendit chez Abu Tâlib, l'oncle et protecteur du Prophète . Tous ceux qui avaient auparavant tenté de persuader Abu Tâlib de pousser son neveu à cesser sa prédication y participaient, ainsi que quelques autres notables et un jeune homme du nom de 'Imâra ibn al-Walîd, fils d'un personnage important de La Mecque. Ils firent à Abu Tâlib la proposition suivante :

« Nous avons emmené avec nous 'Imâra, le jeune homme le plus intelligent et le plus vigoureux de La Mecque, pour te l'offrir comme fils. Il te sera utile, avec son courage et sa sagesse. En échange, tu nous donneras ton neveu qui s'est rebellé contre la religion suivie par toi-même et tes ancêtres et a semé la discorde parmi ton peuple et ridiculisé ses coutumes. Nous le prendrons et le tuerons, tandis que tu prendras un homme à la place d'un autre. »

Abu Tâlib répondit : « Quel marché de dupes vous me proposez là ! Vous voulez me donner votre fils à nourrir, tandis que je vous donnerais mon fils à tuer ! Cela ne sera jamais. » Al-Mutim ibn Adî, qui faisait partie de la délégation, dit à Abu Tâlib : « Les tiens t'ont fait une offre juste. Ils font de leur mieux pour t'amadouer, mais tu ne sembles disposé à accepter aucune offre. »

Abu Tâlib riposta : « Ils n'ont certainement pas été justes. Je vois que tu te joins à eux pour m'abandonner. » Le ton monta, et la délégation des Quraysh finit par se retirer, extrêmement en colère.

Pour absurde que la proposition des Quraysh à Abu Tâlib puisse paraître aujourd'hui, elle représentait de leur point de vue une tentative honnête pour trouver une solution satisfaisant toutes les parties. Dans la société d'Arabie, où les liens tribaux transcendaient tous les autres et où la position d'un homme dépendait du nombre de ses enfants et du soutien sur lequel il pouvait compter, Abu Tâlib n'aurait pas sacrifié grand-chose en échangeant son neveu contre un jeune homme compétent et intelligent.

Il est intéressant de noter que la proposition était considérée comme juste par un homme comme al-Mut'im qui allait, au fil des ans, se montrer amical et bienveillant envers le Prophète  et les musulmans en général. Il était en outre un cousin éloigné d'Abû Tâlib : ils avaient tous deux pour arrière-grand-père Abd Manâf ; on aurait donc pu s'attendre à ce que son point de vue se rapproche davantage de celui d'Abû Tâlib. D'ailleurs, la remarque d'Abû Tâlib sur l'abandon d'al-Mut'im prend tout son sens lorsqu'on la considère sous cet angle.

Les négociations s'achevèrent donc par un échec total. Cela n'a rien d'étonnant, puisqu'il s'agissait de principes fondamentaux. Les Quraysh ne voyaient donc plus d'autre issue que d'étendre leur campagne de persécution à tous les musulmans. Chaque clan se vengea de ceux de ses membres qui étaient devenus musulmans. Désormais, même les jeunes gens nobles et libres étaient victimes de la campagne des Quraysh. Les mauvais traitements se généralisaient.

                   La persécution se généralise

Mus'ab ibn 'Umayr appartenait à une famille riche. Sa mère lui fournissait tout ce qu'il désirait. C'était peut-être le jeune homme le plus beau, le plus élégant et le plus brillant de La Mecque. Pourtant, lorsqu'il devint musulman, il fut emprisonné par les siens et même sa mère s'opposa à lui.

'Uthmân ibn Affân, qui appartenait au clan des Umayyades, était issu d'une famille noble. Cela n'empêcha pas son oncle al-Hakam ibn Abî al-As de l'attacher à un poteau en jurant de ne pas le détacher tant qu'il n'aurait pas renoncé à l'islam.

'Uthmân répondit qu'il n'y renoncerait jamais quelle que soit la pression exercée sur lui. Sa'd ibn Abî Waqqâs, qui était très attaché à sa mère, subit des pressions de sa part : elle pensait pouvoir utiliser son amour filial pour le détourner de l'islam. Après quelques menaces qui ne la menèrent à rien, Sa'd lui dit :
« Mère, si tu avais cent vies et que tu les perdais l'une après l'autre, je n'abjurerais pas l'islam pour t'épargner. »

Même Abu Bakr n'était plus à l'abri. Un jour, il prit la parole pour inviter les gens à croire en Dieu et Son messager. Certains l'insultèrent. Il y eut bientôt une bousculade et Abu Bakr fut attaché par plusieurs personnes dont 'Utba ibn Rabî'a, qui le frappa au visage avec ses chaussures. Lorsqu'il fut secouru par ses contribules, ils le crurent mort. Le soir venu, il reprit ses sens. Sa première question fut pour le Messager de Dieu. Il ne voulut pas se reposer avant d'avoir été conduit près de lui.

On l'emmena à la nuit tombée, et il marcha, soutenu par sa mère et par une femme musulmane, jusqu'à la maison du Prophète . Ce dernier fut très peiné par ce qui lui était arrivé. Il parla à sa mère et elle devint musulmane, ce qui réjouit Abu Bakr.

Abu Tâlib suivait de près l'évolution de la situation à La Mecque. Il s'inquiétait de plus en plus pour son neveu Muhammad . Il demanda donc à son clan de s'engager solennellement à protéger Muhammad (SAW) contre tout mauvais traitement qu'il pourrait être amené à subir. Tous les membres du clan répondirent favorablement à son appel, à une exception près : Abu Lahab.

Bien qu'étant l'oncle du Prophète, il demeurait en effet violemment opposé à l'islam et prenait part avec les autres membres de Quraysh à la campagne de persécution. Abu Tâlib fut néanmoins extrêmement satisfait de ce soutien. Il exprima ses sentiments dans un long poème où il faisait l'éloge de son clan et rappelait aux Quraysh leur noble passé. Le Prophète put ainsi poursuivre sa prédication en bénéficiant d'une protection sûre.


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